Paris, le lundi 05 mai 2025
Comme chaque année, les nominations et renouvellements s’enchaînent au rythme des assemblées générales annuelles. Fait marquant, le 28 avril dernier, Françoise Bettencourt Meyers qui avait succédé à sa mère Liliane Bettencourt il y a près de 28 ans, vivait sa dernière assemblée générale de L’Oréal en tant qu’administratrice. L’héritière du géant mondial des cosmétiques laisse sa place à la vice-présidence du conseil à son fils ainé Jean-Victor Meyers.
Si les évolutions sont inhérentes à la vie des conseils d’administration, force est de constater qu’elles s’accélèrent ces dernières années. Dans son étude annuelle sur L’enjeu des AG 2025, l’OFG souligne que « les derniers mois ont connu de très nombreux changements dans la gouvernance des 120 premières sociétés françaises : […] 7 nouveaux Présidents, près de 15 démissions d’administrateurs indépendants depuis la dernière saison des AG ».
Ainsi, près de 30% des mandats d’administrateur du CAC 40 arrivent à échéance en 2025, un chiffre proche de celui observé dans le reste du SBF 120 (28 %). Du côté des dirigeants exécutifs, la tendance est similaire. A l’issue des assemblées générales 2024, près de douze nouveaux dirigeants ont été nommés parmi les groupes du SBF 120 : « la moitié des successions était non planifiée, contre 43% en 2023 » souligne Les Echos (Laurence Boisseau, « SBF 120 : quand les successions de PDG s’improvisent », avril 2025). Un tiers d’entre eux a été nommé par intérim, révélant une forme d’impréparation des conseils d’administration.
Cette dynamique reflète une tendance plus large d’accélération des renouvellements à la tête des entreprises, qui peuvent intervenir pour des raisons variées selon les horizons de temps. Certaines successions sont prévues, notamment en raison de l’âge de la retraite ou de l’échéance annoncée du mandat. D’autres surviennent de manière imprévue, à la suite d’une démission, d’un empêchement (comme une maladie ou une décision de justice), ou d’un décès. Enfin, certaines successions sont accélérées du fait d’une performance jugée insuffisante, d’une faute de gestion ou d’une défaillance du dirigeant en place. A cela s’ajoute une exigence croissante de diversification des compétences, notamment en matière numérique (intelligence artificielle, cybersécurité), de durabilité (pour répondre aux nouvelles exigences réglementaires), ou encore de compréhension des enjeux géopolitiques. Ces différentes situations rappellent l’importance pour les conseils d’administration de disposer de plans de succession robustes, adaptés à chaque scénario.
L’Institut Français des Administrateurs (IFA) rappelle que le passage de témoin est un mécanisme long : « soulevé trop tardivement, le sujet peut nuire gravement au développement et à la pérennité de l’entreprise avec un champ des possibles réduit face à une urgence et une complexité accrue, liées à l’inquiétude, l’ego et l’affect des différentes parties prenantes ». (Guide IFA, « Transmission d’une ETI – Enjeux et bonnes pratiques », p. 8, 2023).
Il est frappant de constater que « bien que la nomination des mandataires sociaux soit l’une des missions les plus essentielles du conseil d’administration, il n’en est rien dit dans la loi et peu dans le code Afep-Medef si ce n’est pour indiquer qu’il s’agit d’une des tâches prioritaires du comité des nominations. » (Guide IFA, « Succession du dirigeant : quel rôle pour le conseil d’administration et le comité des nominations ? », p. 1, 2017).
En matière de succession des dirigeants mandataires sociaux, la préparation et la gestion de la succession figurent parmi les responsabilités premières du conseil d’administration. Il est recommandé qu’elles soient mises en œuvre au travers d’un comité spécialisé du conseil.
Néanmoins, les entreprises tardent encore trop souvent à institutionnaliser un véritable processus. Comme le souligne L’Agefi, faute d’avoir préparé l’après, certains dirigeants jouent les prolongations et peinent à passer le relais, allant jusqu’à faire modifier les statuts en assemblée générale pour prolonger l’âge limite de leur mandat. Si l’âge de départ passe ainsi de 65 à 68 ans en moyenne, il n’est pas rare que les limites soient ainsi repoussées jusqu’à 75, 85, voire 90 ans (Bruno de Roulhac, « Plus que jamais les conseils d’administration vont devoir anticiper », avril 2025).
Ces situations exposent les organisations à plusieurs risques : vacance imprévue du pouvoir, décisions prises dans l’urgence, et instabilité préjudiciable à sa gouvernance. Elle peut également fragiliser la continuité stratégique, alimenter les tensions internes et nuire à la confiance des parties prenantes, compromettant ainsi la pérennité de l’entreprise.
La question de la succession se pose avec encore plus d’acuité dans les entreprises familiales, cotées ou non, où l’héritier naturel ne correspond pas toujours au profil requis pour faire face aux nouveaux défis. Il devient alors impératif de concilier transmission patrimoniale et logique managériale, en s’appuyant sur des instances de gouvernance solides, des dispositifs d’accompagnement et parfois l’intégration de dirigeants externes, à titre temporaire ou permanent.
La mise en place d’un processus structuré, documenté et revu régulièrement de planification des successions n’est pas un luxe mais une exigence de bonne gouvernance.
À l’heure où l’on attend des entreprises qu’elles soient durables, résilientes et agiles, la succession ne peut plus être laissée au hasard. Elle doit être anticipée et intégrée à la stratégie de long terme, en s’appuyant sur un processus clair, partagé et réévalué régulièrement.
Pour mieux accompagner vos travaux sur le sujet, l’IFA met à disposition ses guides pratiques :
- Transmission d’une ETI – Enjeux et bonnes pratiques, guide du groupe de travail Club ETI
- Succession du dirigeant : quel rôle pour le conseil d’administration et le comité des nominations ?