Publiée le 08 mars 2025 dans Les Echos
Par Guylaine Dyèvre Huillard, Vice-présidente de l’IFA
La France est pionnière en matière de mixité dans les conseils d’administration. Mais au sommet des entreprises, les hommes tiennent à ce stade encore fermement les rênes.
Grâce à la loi Copé-Zimmermann, la mixité des instances dirigeantes est devenue une réalité tangible. Les conseils d’administration des entreprises du SBF 120 comptent 46,7 % de femmes (47,7 % pour le CAC 40), un niveau inédit en Europe. Avec la loi Rixain, cette dynamique s’étend désormais aux comités exécutifs et de direction, où la part des femmes atteint 27,6 % dans le SBF 120 (28,2 % dans le CAC 40). Ces avancées sont réelles, mais un plafond de verre persiste aux tous premiers rôles : à peine 13 % de Présidentes et Directrices Générales dans le SBF 120 (10 % dans le CAC 40). La France n’est pas en retard sur le plan international, mais la marge de progression reste immense.
Les quotas ont contribué à renforcer la mixité au sein des grandes sociétés cotées, mais des freins structurels persistent et continuent de limiter l’accès des femmes aux plus hautes fonctions. Pour y remédier, il est essentiel d’agir à tous les phases du parcours professionnel, dès la formation initiale et tout au long de la carrière. Dans cette dynamique, les conseils d’administration ont un rôle clé à jouer en exerçant leur devoir de diligence pour s’assurer que la promotion des talents féminins est pleinement intégrée dans la stratégie et la gouvernance de l’entreprise.
Trois leviers pour ouvrir l’accès des femmes aux plus hautes responsabilités
Si les femmes sont encore trop peu nombreuses aux postes les plus élevés, ce n’est ni un manque de compétences ni un manque d’ambition. Ce sont les mécanismes d’ascension qui restent inadaptés. Pour faire émerger davantage de dirigeantes, trois leviers sont à activer :
- Encourager les jeunes filles à explorer les filières scientifiques et techniques et/ou reconnaître que ces filières ne sont pas des passages obligatoires pour accéder aux postes clefs. Les grandes entreprises industrielles recherchent souvent des profils issus de ces formations pour leurs directions opérationnelles. Or, ces parcours restent largement masculins. Il est essentiel d’inciter davantage de jeunes filles à s’y engager pour leur ouvrir l’accès aux postes clés. Au-delà, il est aussi sûrement possible de trouver de futurs leaders dans des filières faisant appel à différents types d’expertise, afin notamment d’assurer une plus grande diversité des talents.
- Intégrer systématiquement les femmes dans les plans de succession. Les nominations aux postes de direction se préparent des années en amont. Éviter des shortlists majoritairement masculines et identifier dès le départ une proportion suffisante de talents féminins est indispensable. Cela suppose un suivi actif des parcours, avec des opportunités de progression équitables.
- Bâtir et accompagner les viviers de talents féminins. Il ne suffit pas d’identifier des profils prometteurs : encore faut-il les accompagner de manière proactive, favoriser le développement personnel avec notamment de la formation, voire du mentorat. En assurant aux femmes les mêmes opportunités de progression que leurs homologues masculins, la gouvernance devient plus diverse et plus robuste.
Favoriser la mixité : le devoir de diligence des administrateurs
L’objectif de 30 % de femmes dans les comités exécutifs et de direction en 2026 sera vraisemblablement atteint, mais l’effort ne doit pas s’arrêter là. Atteindre 40 % d’ici 2029 nécessitera une mobilisation soutenue, et cette responsabilité incombe à toutes les instances de gouvernance : en premier lieu les directions générales et opérationnelles mais également aux conseils d’administration.
Dans le cadre de leur devoir de diligence, les administrateurs doivent veiller à ce que la direction générale prenne des mesures concrètes et efficaces. Questionner, challenger et accompagner la mise en œuvre des engagements en matière de mixité fait partie intégrante de leur rôle, afin d’assurer que ces objectifs se traduisent en résultats tangibles.
Les entreprises doivent fixer des objectifs clairs et mesurables pour les postes exécutifs, suivre les progrès en ajustant leurs stratégies et transformer durablement les mentalités grâce à la sensibilisation et à la formation.
La mixité n’est pas seulement un enjeu de conformité, c’est un levier de performance et de compétitivité. Il est temps de dépasser la seule logique des quotas pour inscrire cette transformation dans la durée. Et cette dynamique ne doit pas se limiter aux grandes entreprises : PME et ETI doivent aussi être pleinement impliquées pour garantir une évolution homogène et pérenne.
La féminisation des instances dirigeantes : une valeur désormais européenne
La France n’est plus seule dans cet élan. Avec la directive Women on Boards de 2022, l’Europe impose d’ici 2026 des quotas de mixité dans les conseils d’administration ou de surveillance des grandes entreprises cotées, ancrant ainsi l’égalité comme une norme durable.
Mais ailleurs, ces avancées sont parfois remises en cause. L’Europe doit affirmer que diversité et égalité ne sont pas des contraintes, mais des atouts stratégiques pour des entreprises plus performantes et résilientes. Au-delà des quotas, une réflexion s’impose sur le modèle de leadership que la France et l’Europe veulent encourager.
Ce modèle impact bien sûr sur le modèle de société.