Publiée le 16 juin 2025 dans Les Echos
La directive CSRD ne fait pas consensus. C’est une évidence. Mais si l’on s’y arrête, on rate l’essentiel. L’enjeu aujourd’hui n’est pas de savoir si le dispositif plaît. Il est de savoir ce qu’on en fait. Et comment le rendre utile.
Les premiers rapports publiés en France le montrent : l’intention était louable, mais l’exécution s’est noyée dans le formalisme. Trop d’indicateurs, trop de complexité, trop d’exigences sur toute la chaîne de valeur. La CSRD agit comme un catalyseur, obligeant les entreprises à confronter leurs impacts, positifs et négatifs, risques et opportunités. Mais sa mise en œuvre interroge : guide-t-elle vraiment la transformation, ou l’encombre-t-elle ?
« Ce qui ne se mesure pas n’existe pas. » Cette formule souvent attribuée à Niels Bohr résume l’intention initiale du reporting. Mais en cherchant à tout mesurer, on a peut-être oublié l’essentiel. L’impression dominante est que le problème a été pris à l’envers. Au lieu de cibler les enjeux à plus forts impacts et les acteurs les mieux placés pour agir, on a voulu tout quantifier. Résultat : un reporting massif, appliqué à un périmètre immense.
L’enquête menée par l’IFA au printemps 2025 auprès d’administrateurs concernés par la CSRD (150 répondants au sondage mené en mai auprès d’adhérents de l’IFA) est sans appel : le rapport coût/bénéfice n’est pas démontré et l’effort mobilisé détourne des ressources précieuses au détriment des plans d’action. Le reporting devient un exercice formel, au détriment de son utilité stratégique.
Dans ce contexte, la simplification devient un enjeu central. Près des trois quarts des administrateurs ayant partagé leur retour d’expérience appellent à des mesures concrètes. Ces demandes font écho aux propositions du paquet Omnibus, actuellement en discussion à Bruxelles : recentrage du périmètre, allègement des audits, suppression des normes sectorielles, recentrage sur les chaînes de valeur de premier rang. Des pistes qui vont dans le bon sens.
Pour autant, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il ne s’agit pas de renoncer, mais de recentrer. La CSRD a introduit des avancées fondamentales qu’il faut préserver. D’abord, la double matérialité, qui permet de penser à la fois l’impact du monde sur l’entreprise et celui de l’entreprise sur le monde. Ensuite, les indicateurs spécifiques à l’entreprise doivent rester possibles. Enfin, l’encadrement par la puissance publique du cadre de reporting est à saluer : mieux vaut une norme légitime que la jungle des agences privées, souvent opaques et auto-proclamées.
Ce que demandent les administrateurs, ce n’est pas moins de durabilité. C’est moins d’usine à gaz pour passer de la conformité à la stratégie. Et ils le prouvent : près des deux tiers des administrateurs adhérents de l’IFA interrogés indiquent que leurs entreprises non encore soumises à la CSRD déclarent vouloir publier volontairement un rapport de durabilité avant leur échéance. Et pour cause : les administrateurs entrevoient déjà des bénéfices potentiels comme une meilleure compréhension des impacts, une priorisation plus fine des risques et opportunités, des pistes de réflexion stratégique, une implication progressive de la direction générale.
Il est temps de consacrer non plus un « temps réglementaire », mais un temps intelligent, celui de la réflexion stratégique sur la soutenabilité. Le reporting ne doit plus être une fin en soi, mais un levier.
Le rôle de l’administrateur est clé : il doit trier l’utile du superflu, articuler régulation et pertinence, et transformer les données en décisions. L’IFA soutient pleinement les travaux de simplification en cours à Bruxelles. Le mouvement engagé avec Omnibus va dans le bon sens. Il doit aboutir vite. Gouverner la durabilité, c’est libérer l’action stratégique. Et c’est maintenant que ça se joue.