Tribune IFA : Le défi de la transmission : « La France perd 20.000 entreprises familiales chaque année » par Denis Terrien et Karine Charbonnier

LesEchos. Les entreprises familiales sont le trésor discret de l’économie française : elles représentent 71 % des PME et 61 % des grands groupes en France. Pourtant, leur transmission reste un défi majeur, avec seulement 20 % franchissant le cap de la deuxième génération, s’inquiètent les entrepreneurs Denis Terrien, Président de l’IFA et Karine Charbonnier, coprésidente IFA Hauts-de-France et coprésidente du Club ETI de l’IFA.

Les entreprises familiales sont la clé de voûte de l’économie française. Des plus petites PME aux ETI jusqu’aux grands groupes cotés, dont un tiers du CAC 40, elles irriguent nos régions et constituent la norme plus que l’exception : 71 % des PME sont familiales, tout comme 73 % des ETI et encore 61 % des grands groupes.

Leur poids est considérable : elles contribuent à 69 % de l’emploi, 65 % de la valeur ajoutée et 67 % du chiffre d’affaires, d’après un récent rapport. Pourtant, ce « trésor national » reste étonnamment discret et peu visible dans le débat public. Pourtant, dans un climat général de défiance envers les institutions, les Français placent les TPE-PME tout en haut de l’échelle de confiance.

Un équilibre fragile

Cette force repose, toutefois, sur un équilibre fragile porteur d’un paradoxe. D’un côté, il incarne une vision de long terme et une capacité de résilience face aux crises, soutenues par un « capital patient» échappant aux pressions de court terme des marchés financiers. L’« affectio societatis », volonté partagée de porter un projet
commun, renforce cette stabilité. Elle se prolonge naturellement à l’extérieur par une responsabilité sociale et environnementale profondément ancrée dans leur ADN.

Mais d’un autre côté, les émotions, les conflits internes, la résistance au changement ou le conservatisme peuvent paralyser l’entreprise. La force de l’« affectio familiae » peut devenir une faiblesse lorsque les enjeux financiers, de pouvoir et de sentiments se confondent.

Face à cela, la réponse ne consiste pas à exclure la famille de l’équation, mais au contraire à structurer son implication par une gouvernance adaptée. La clé réside dans la capacité à « combiner le meilleur des deux mondes » : celui de l’héritage familial, porteur de valeurs et de stabilité, et celui de l’entreprise moderne, ouverte sur les marchés, l’innovation et la compétitivité.

Cela suppose d’encadrer l’émotionnel, afin que l’intérêt supérieur de l’entreprise prime toujours sur les intérêts particuliers de certains membres de la famille, et d’organiser la gouvernance sur trois sphères distinctes : la sphère familiale (cohésion et valeurs), la sphère patrimoniale (actionnaires et héritiers), et la sphère opérationnelle (vision et exécution de l’entreprise). Concrètement, des outils existent comme la mise en place d’une charte familiale pour fixer les règles du jeu et le recours à des administrateurs indépendants pour apporter un regard neuf et objectif.

Seule une entreprise familiale sur cinq franchit le cap de la deuxième génération, contre cinq sur dix en Allemagne et huit sur dix en Italie.

Mais le moment de vérité pour toute entreprise familiale reste celui de la transmission. C’est un processus de long terme, souvent sept à dix ans, qui conditionne la survie de l’entreprise. Or, la France accuse un retard préoccupant : seule une entreprise familiale sur cinq franchit le cap de la deuxième génération, contre cinq sur dix en Allemagne et huit sur dix en Italie.

Associer gouvernance ouverte et transmission anticipée.

Chaque année, près de 20.000 entreprises disparaissent faute d’anticipation (BPI France, 2023). La question est d’autant plus cruciale que la nouvelle génération ne reprend plus l’affaire uniquement par devoir : elle recherche du sens et exige des engagements clairs en matière sociale et environnementale. Ce qui pouvait apparaître comme une contrainte devient alors une opportunité : celles qui réussissent savent se réinventer en intégrant ces aspirations nouvelles.

Certaines entreprises familiales témoignent d’une pérennité rare : transmises de génération en génération, parfois depuis plus de deux siècles, elles incarnent l’histoire d’un projet collectif dont chaque héritier devient le dépositaire. Leur pérennité démontre que la transmission ne se limite pas au capital, mais repose sur des valeurs, un savoir-faire et une culture qui nourrissent l’innovation. Elles démontrent ainsi que tradition et modernité peuvent coexister et qu’une réussite durable s’ancre autant dans l’esprit de famille que dans la capacité d’adaptation.

Et si l’entreprise familiale était le modèle le mieux armé pour affronter l’avenir ? Parce qu’elle conjugue vision de long terme, ancrage régional, clarté des valeurs et attention au capital humain, elle préfigure l’entreprise à mission. Lorsqu’elle associe gouvernance ouverte et transmission anticipée, elle cesse d’être un héritage du passé pour s’imposer comme l’un des modèles les plus l’un des modèles les plus résilients et les plus actuels de notre économie.

Denis Terrien est président de l’Institut français des administrateurs (IFA), et Karine Charbonnier est présidente du Club ETI et membre du Conseil d’administration de l’IFA.

par Denis Terrien, Président de l’IFA

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