Publiée le 03 mars 2025 dans La Tribune
OPINION. L’intelligence artificielle (IA) ne se limite plus à un simple domaine technologique, mais devient un enjeu stratégique mondial. Elle redéfinit les rapports de force économiques, transforme le travail et soulève des questions éthiques et environnementales cruciales. Par Denis Terrien 1 et Laurent Degabriel 2, respectivement Président et Directeur général de l’Institut des Administrateurs (l’IFA)
Denis Terrien et Laurent Degabriel
L’intelligence artificielle (IA) redessine les rapports de force entre grandes puissances économiques mondiales, transforme en profondeur le travail et soulève des défis éthiques et environnementaux inédits. Ce n’est plus un simple sujet technologique, mais un enjeu stratégique de premier ordre, exigeant une réponse forte et éclairée des conseils d’administration.
Cette prise de conscience a été confirmée lors du Sommet de Paris sur l’IA. À cette occasion, 61 pays, dont la France, la Chine et l’Inde, ont signé une déclaration commune en faveur d’une IA « ouverte », « inclusive » et « éthique ». Parallèlement, une coalition pour une IA durable a été lancée, regroupant 91 partenaires, dont 37 entreprises technologiques et plusieurs organisations internationales. Ce sommet a acté un fait essentiel : l’IA ne peut plus rester l’apanage des seuls ingénieurs et régulateurs.
Les entreprises sont des acteurs majeurs de cette transition, et leurs conseils d’administration, en première ligne, ont la responsabilité de superviser l’intégration stratégique et responsable de l’IA. Conscient des défis que l’IA impose aux conseils d’administration, l’IFA a à cœur d’accompagner les administrateurs dans cette révolution inédite.
Un bouleversement stratégique et concurrentiel
L’IA n’est plus une simple innovation technologique ; elle redéfinit les équilibres mondiaux. Tandis que l’Europe encadre son développement avec l’AI Act, les États-Unis et la Chine misent sur des approches plus souples, accélérant l’essor de leurs champions nationaux. Cette divergence réglementaire complique la tâche des entreprises européennes, qui doivent conjuguer compétitivité et conformité.
Or, l’absence de formation des administrateurs sur l’IA constitue un risque majeur. Sans maîtrise de ces enjeux, comment prendre des décisions éclairées ? Il est urgent d’intégrer des compétences en IA au sein des conseils d’administration, en désignant un administrateur référent ou en créant un comité spécialisé. À défaut, les entreprises risquent de piloter à l’aveugle.
L’éthique et la responsabilité au cœur des décisions
Si l’IA offre de vastes opportunités, elle soulève aussi des défis éthiques majeurs : biais algorithmiques, opacité des modèles et responsabilité des décisions automatisées. Qui répondra d’une erreur commise par une IA ? Comment garantir un usage équitable et impartial des données ?
Les conseils d’administration doivent impérativement instaurer des audits réguliers des algorithmes, veiller à la protection des données personnelles et anticiper les risques de dérives. La transparence devient un enjeu incontournable : les mécanismes de décision doivent rester compréhensibles et justifiables pour maintenir la confiance des parties prenantes et éviter des crises qui pourraient fragiliser leur réputation.
L’IA et son empreinte environnementale
L’explosion de l’IA générative s’accompagne d’un coût écologique exponentiel. La consommation énergétique des centres de données croît à un rythme alarmant, et l’extraction des matières premières nécessaires aux infrastructures numériques aggrave la pression sur les ressources naturelles.
Les conseils d’administration ne peuvent ignorer cet enjeu. Ils doivent exiger une évaluation précise de l’empreinte écologique des technologies employées et encourager l’adoption de modèles d’IA plus frugaux. Une transformation numérique durable est non seulement souhaitable, mais indispensable.
Un changement sociétal inédit
Enfin, l’IA bouleverse le travail et la répartition de la valeur. Si la révolution industrielle a mécanisé les tâches physiques, l’IA automatise les fonctions cognitives. Comment s’assurer que la richesse créée par l’IA ne creuse pas davantage les inégalités ?
Les conseils d’administration doivent anticiper ces mutations et les accompagner. Ce n’est pas un sujet secondaire : une transition injuste risquerait d’aggraver les fractures économiques et sociales, mettant en péril la cohésion de nos sociétés.
Le contrôle des infrastructures et des algorithmes façonne désormais les équilibres géopolitiques et menace la souveraineté numérique. L’Europe doit défendre un modèle d’IA éthique et respectueux des libertés fondamentales. Mais cet engagement ne peut reposer uniquement sur les États. Les entreprises et leurs conseils d’administration ont leur rôle à jouer. Ceux qui saurons faire preuve de discernement face aux défis de l’IA façonneront l’avenir. Les conseils en première ligne seront garants d’une IA responsable ou témoins impuissants de ses dérives !
- Denis Terrien est Président de l’Institut Français des Administrateurs (IFA) depuis mai 2019. Entrepreneur, dirigeant et administrateur, Denis Terrien est membre de conseils d’administration depuis plus d’une vingtaine d’années. Il est actuellement membre de conseil du Groupe Colisée (Président du Conseil de Surveillance), de Ciel Textile (Président du comité de nomination), de Concilio et de Changer par le don. Il a été précédemment Président du Groupe Vivarte, de oNotes, de Grandir et du Groupe 3SI.
Il a dirigé des sociétés dans le domaine du digital, de la distribution, de service, et de biens de consommations pour des groupes multinationaux à capital privé ou familial ainsi que pour des sociétés cotées en bourse. Denis Terrien a commencé sa carrière chez McKinsey à Londres. Il a ensuite fondé amazon.fr. Président de Sanford Europe de 2001 à 2007, dont il a dirigé l’expansion en EMEA et en Inde.Denis Terrien est diplômé de Harvard Business School (MBA), de l’Université d’Oxford (Master of Science) et de l’Enseeiht (Ingénieur en mathématiques). ↩︎
- Laurent Degabriel est Directeur Général de l’Institut Français des Administrateurs
Passionné par les enjeux de gouvernance, Laurent Degabriel, 60 ans, est administrateur indépendant depuis de nombreuses années et certifié du certificat administrateur de sociétés IFA – Sciences Po. Laurent Degabriel possède une riche expérience au sein de banques internationales, d’institutions européennes et de cabinets de conseil aussi bien en France, qu’à l’international (Bruxelles, Londres, Hong Kong). Depuis 2024, Il est Directeur Général de l’Institut Français des Administrateurs Il est diplômé de Sciences Po Paris et de l’Université Paris-Dauphine et a obtenu un MBA de la London Business School. ↩︎